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  • Photo du rédacteurManon Segur

Écriture et cauchemar : un exercice à base d’idées mal réveillées.


 


Chaque personne a son « truc » pour poser les bases d’une histoire, chaque moment d’écriture est unique, chaque façon de se lancer découle d’un vécu particulier. C’est ce qui rend l’art littéraire si mystérieux et agréable, n’est-ce pas ?

Je connais des « architectes » capables d’ériger une histoire à partir de notions clés issues du néant et des « jardiniers » qui ne suivent que leurs instincts, surfant sur leurs seuls ressentis. Personnellement, je me considère « architecte » (Juste de penser à la méthode des jardiniers, je pourrais faire des crises d’anxiété… mais ça c’est personnel.) Mais je me trouve bien incapable de donner naissance à un récit sans avoir une impulsion derrière : un vieux fantasme qui aurait trop mijoté dans mon cerveau, une idée rescapée d’un autre projet ou quelque chose qui traîne avec moi depuis longtemps et que je souhaite exorciser.


Et souvent tout part de la nuit.


Parce qu’en vérité, mon « truc » à moi pour bâtir un roman — mon « truc » préféré par-dessus tout, même — c’est de me baser sur mes cauchemars.

Je ne suis pas fanatique des conseils d’écriture, étant du genre à ne rien vouloir écouter, mais je sais que certaines personnes cherchent des idées pour s’inspirer, une ancre pour ne pas se laisser emporter dans une écriture chaotique. Et plus j’y pense, plus se baser sur ses cauchemars — quand on débute — me semble être une bonne idée. Voici pourquoi selon bibi :


(ATTENTION : Je parle ici de cauchemars bénins et non de résidus de stress post-traumatique, de paralysies du sommeil ou autres expériences profondément désagréables. Je ne suis pas ici pour minimiser le vécu douloureux des gens ou m’en servir.)


I — Difficile de faire plus personnel qu'un cauchemar

 

Il y a une raison pour laquelle les cauchemars sont des cauchemars. Là où les rêves sont généralement décousus, nos cauchemars sont poignants, inquiétants. Ils appuient sur ce qui nous travaille pendant la journée en détournant les causes, en empirant les angoisses. La littérature d’horreur et le cinéma horrifique jouent avec ce même principe de détournement depuis plus d’un siècle parce que l’exagération permet de retrancher les lecteurs/spectateurs dans leur vécu — je pense à Frankenstein de Mary Shelley, qui terrifiait déjà en prévoyant la déshumanisation de la science et en jouant avec l’arrogance humaine. Je pense aussi aux films Get out et Us de Jordan Peele (bon, j’aime énormément les films de Jordan Peele, je suis pas objective) qui créent une horreur très intime à partir de véritables problématiques sociales. Même certaines comédies détournent des sujets pour mieux les dénoncer ( je ne dis pas ça parce que je fais encore des cauchemars de L'aile ou la cuisse. )

La dystopie également se ressent comme un cauchemar à grande échelle parce qu’elle utilise ce qui nous fait déjà peur au présent. En tant que femme cis, je n’ai aucune envie de me voir transformée en « servante écarlate » à la sauce Atwood. ( Je n'ai donc aucune intention de mettre les pieds au Texas ces prochaines années. ) Les thématiques me touchent personnellement, la peur s’en retrouve donc démultipliée. Il faut considérer le cauchemar comme une dystopie ou un film d’horreur sur mesure. Si les causes qui nous effraient nous effraient tant, elles nous sont personnelles. Si elles nous sont personnelles, nous sommes bien placés pour les utiliser et les détourner. Le cerveau fait déjà une bonne partie du boulot.



II — Petit exemple égocentrique ( parce que je fais ce que je veux )

 

Personnellement mes cauchemars se sont multipliés à l’époque où j’ai commencé à m’intéresser à l’ésotérisme. Je cherchais d’autres solutions spirituelles qu’une institution étriquée et misogyne tout en m’effrayant de ce qu’on ne cesse de répéter sur la sorcellerie ou les pratiques considérées occultes. J’ai écrit Le cloître des vanités à la suite d’une vision horrifique en plein milieu d’une sieste et sans l’avoir réellement fait exprès les thématiques qui en sont ressorties sont (outre un amour excessif de l’architecture gothique dans le midi toulousain) : la place des femmes dans la religion, le contact avec l’au-delà, l’exorcisme du passé…

Un petit point important tout de même : vous pouvez partir de vos cauchemars pour certaines inspirations sans écrire nécessairement de l’horreur, du fantastique ou du thriller. Cette base peut juste aider à construire la peur autour d’un antagoniste ou réfléchir à une « origin story » pour un personnage. C’est surtout le côté personnel, sincère, qui permet de donner un coup de boost à une histoire, pas forcément le coulis de tripailles au fond d’une cave (même si j’en suis personnellement amatrice.)


III - Plein de gens le font déjà ( et c'est un sujet littéraire à part entière )

 

Sur ce, et sans transition aucune : pendant longtemps j’ai aimé cracher sur à peu près tout ce qui se faisait d’artistique au-delà du vingtième siècle — surtout l’art contemporain — parce que j'adorais faire mon élitiste. Vous imaginez donc que je ne suis pas devenue une grande fan de surréalisme dans mon enfance. Le principe me faisait rire ou bien me terrifiait, surtout du côté de chez Dali. Maintenant, même si l’individu ne m’est pas très sympathique, ses peintures m’atteignent directement. Elles sont uniques et elles appellent des sensations et des émotions que je ne peux pas nécessairement exprimer à haute voix. La force des rêves réside là aussi.

Si on est touché sans que le cerveau l’explique, c’est que les tripes sont à l’œuvre (OK j’ai un problème avec les tripes aujourd’hui, mais promis tout va bien.) Le surréalisme on le trouve certes en peinture, mais niveau écriture et poésie on est pas non plus en reste. Et le symbolisme porte en rab pas mal de forces cauchemardesques ( Verlaine, par exemple, a écrit un beau poème titré "Le cauchemar.") En fiction pure, Neil Gaiman use pas mal de la thématique onirique. Sans parler de Sandman que je connais assez peu, une bonne partie de Coraline repose sur le monde du rêve. Enfin, Mary Shelley dont j'ai déjà parlé a directement utilisé un cauchemar pour écrire Frankenstein ! Puisque je vous dis que c'est pratique ! N’oubliez pas que si vous souhaitez écrire sans savoir sur quoi vous baser, votre cerveau vous prépare un exercice tout prêt. Et puis si vous en êtes à vos débuts ou que vous cherchez à améliorer votre style, pourquoi ne pas tenir un carnet de rêves ? Nombre d’auteurices célèbres en utilisent (non, sérieusement, j'ai même la flemme de vous choisir un exemple.)


Conclusion gentillette : écrire en se basant sur ses cauchemars c’est donc — intime – surréaliste — sincère — cohérent par rapport aux questions du moment.

Et une petite morale mal fichue pour la route : Si un machin vous effraie, débrouillez vous pour qu'il vous soit utile, publiez votre livre, devenez riche comme Crésus (mais oui, tout à fait) toisez le monstre sous votre lit avec mépris, crachez-lui vos bijoux à la gueule, expulsez-le de là-dessous à grands coups de sauge et de lettres enflammées signées par l’armée des gens qui vous admirent. Devenez le cauchemar de votre cauchemar. Le seul cauchemar qu’il vous restera s’appelle relecture.


Légendes et liens

 

- Première photo : Le cauchemar, statue d'Eugène Thivier au musée des Augustins de Toulouse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Augustins_-_Cauchemar_-_Eugène_Thivier_-_RI_1156.jpg

- Troisième photo : Illustration de bougies sur Pexels : https://www.pexels.com/photo/two-lit-candles-2563040/




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